Quand la saveur prend vie
Comme l’explique Julien Willems, harmoniser les saveurs sucrées, épicées et maltées de vos friandises avec un dram taillé dans la même étoffe aromatique sera certainement une expérience agréable.
Avec 877 whiskies embouteillés depuis 2014, « Épicé et sucré » est le profil aromatique le plus fourni de la Société. Ce n’est pas surprenant, étant donné que la plupart des scotchs présentent des saveurs épicées et sucrées. Mais c’est au tasting panel de décider s’il s’agit là des caractéristiques dominantes d’un whisky, ou si d’autres arômes comme la tourbe ou la vanille leur volent la vedette. Les saveurs sucrées et épicées sont principalement dues à la maturation, mais le spiritueux joue également un rôle décisif. Voyons de plus près comment ces arômes de brioche sont créés dans un whisky.
Les tanins
Tout comme les lactones de chêne au goût de noix de coco sucré, mentionnés plus en détail ici, d’autres composés sont également présents naturellement dans le chêne et sont facilement extraits par l’alcool en cours de maturation. Parmi eux, les tanins sont connus pour conférer une sensation d’astringence poudreuse en bouche au whisky vieilli en fût, ce qui est déjà ressenti par certains comme plus épicé. On entend souvent parler du chêne européen (Quercus robur), riche en tanins, comme si le chêne américain (Quercus alba) ne donnait aucune note tannique au whisky. Ce n’est pas tout à fait exact.
En effet, il existe une grande variabilité dans la concentration en tannins dans le chêne américain, tout comme on le constate pour les lactones. La quantité exacte de tanin produite par le Quercus alba peut toutefois dépendre de son environnement. En effet, comme l’explique Andy Forrester, maître en spiritueux de la SMWS: « Nous pensons que les tanins sont un moyen de dissuasion alimentaire et une réponse au stress environnemental, aidant les arbres à prévenir les attaques des parasites. »
Les taux de tanins peuvent donc varier considérablement et cela rend chaque tonneau unique. Les tonneliers peuvent toutefois mesurer les taux de tanins dans le bois à l’aide de technologies modernes et sélectionner ainsi les douelles pour fabriquer un fût offrant le profil aromatique désiré.
Un savant jeu d’équilibres
Comment en arrivons-nous à percevoir des saveurs épicées comme la cannelle, le piment de la Jamaïque, ou encore le clou de girofle ou le pain d’épices dans ce whisky « Épicé et sucré »? Une fois que les tonneliers ont sélectionné les douelles et assemblé un fût, ils le grillent et/ou le carbonisent au niveau souhaité afin d’obtenir différents équilibres de certains composés aromatiques qui pourront être extraits par l’alcool. Le bois est majoritairement composé de lignine, qui, une fois exposée à la chaleur, se dégrade en une grande variété de molécules aromatiques. C’est le processus par lequel la vanilline et sa douceur légère comme un rêve sont créées.
Outre la vanilline, des composés tels que l’eugénol, perçu comme épicé tel le clou de girofle, et le gaïacol, au tempérament plus épicé et fumé, sont également synthétisés à partir de la lignine. Selon la façon dont le chêne a été chauffé, ces substances auront des concentrations relatives différentes qui, en interaction avec d’autres arômes, créeront tout un spectre d’arômes que nous percevons comme épicés.
Qu’en est-il des arômes de fraise, de balsamique et de vin épicé? D’autres caractéristiques des fûts peuvent également avoir une influence sur le whisky et lui conférer des notes plus ou moins épicées ou sucrées. Le contenu antérieur du fût peut aussi contribuer au profil aromatique et à son classement parmi les scotchs « Épicé et sucré ». En effet, les fûts de vin et de sherry sont connus pour donner au whisky des saveurs de vin et d’épices, mais n’oubliez pas que les fûts de rhum, de chêne calciné ou même d’IPA ont tous le potentiel de faire pencher le profil aromatique vers « Épicé et sucré ».
Apporter son grain au moulin
Mais prétendre que le profil « Épicé et sucré » est seulement une affaire de fûts serait de la simplification abusive. Le whisky est un spiritueux et les saveurs créées par ses ingrédients et les étapes menant à la distillation ne doivent pas être négligées.
Nous avons mentionné précédemment les acides et les esters, responsables de certains des arômes fruités sucrés ou citronnés que nous percevons dans le whisky. Ils sont présents en abondance ici aussi. Leur abondance dépendra du distillat et sera finalement décisive, soit pour pousser le whisky vers des saveurs plus douces et plus rondes, soit pour laisser le fût imposer la domination des arômes plus épicés.
Mais il n’y a pas que les esters. Sans être ni boulanger ni pâtissier, je sais tout de même qu’il ne suffit pas de fruits et d’épices pour faire une brioche. Il faut aussi de la farine et de la levure pour lui donner ces merveilleuses saveurs de céréales et de malt fraîchement cuites, une fois sortie du four. Dans le cas du whisky, il faut obtenir le « grist », la farine de malt. « Pendant le brassage, certains composés sont extraits de l’orge maltée, puis modifiés par la fermentation et ensuite concentrés par la distillation. À la sortie de l’alambic, on pense que ces composés sont ceux qui donnent au whisky sa colonne vertébrale céréalée et maltée », explique Andy Forrester.
« Contrairement au fruité que nous attribuons aux esters, nous ne savons pas encore exactement quels sont les composés qui créent ces arômes. Nous savons seulement qu’ils sont dérivés de l’orge. Cela offre d’intéressantes possibilités d’innovation en matière d’arômes ».
Malts de spécialité
Nous avons surtout attribué le mérite des saveurs épicées au fût, mais le spiritueux est probablement aussi en partie responsable. Nous savons que les whiskies de seigle sont connus pour être des distillats épicés. Il y a donc peut-être quelque chose à faire dans la sélection de variétés d’orge en fonction de leur caractère épicé, comme c’est le cas pour le seigle.
La solution se trouve peut-être du côté des « variétés patrimoniales » dont on entend tant parler à propos du whisky de nos jours. Un certain nombre de distilleries travaillent désormais avec des « malts de spécialités » (malt cristal, malt chocolat), largement utilisés pour le brassage. Comme l’explique Andy: « Nous savons, grâce à l’analyse chimique, que certains des composés actifs du goût qui ne peuvent être produits que pendant le processus de torréfaction et de grillage (perçus comme du chocolat, du café, des noix grillées, torréfiées) passent par la distillation et finissent dans le spiritueux en sortie d’alambic ».
Ainsi, peut-être pourrions-nous utiliser des malts de spécialité pour produire le parfait whisky de Pâques, aux saveurs gourmandes, généreuses, chocolatées, pâtissières et briochées? Dans l’ensemble, l’obtention d’un profil « Épicé et sucré » est une fois de plus une question d’équilibre. Bien que les saveurs épicées proviennent principalement du fût, le profil « Épicé et sucré » n’est pas conditionné par un seul facteur. Il est l’expression d’un potentiel très varié avec une marge énorme pour les variations et les découvertes. Mais retournons à la dégustation de nos brioches, œufs à la crème et autres friandises de Pâques. Nous avons été suffisamment techniques pour aujourd’hui.